En septembre dernier, la fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale des Hauts-de-France a publié un rapport portant sur le choc carcéral et sur son impact sur la santé mentale des détenus. Voici ce que révèle l’approche sociologique au sujet de cette l’étape traumatisante qui attend les nouveaux arrivants.
Comment la santé mentale des détenus a-t-elle récemment été étudiée ?
Publié en septembre dernier, un rapport intitulé « La santé mentale à l’entrée en maison d’arrêt, une approche sociologique » met en lumière les inégalités en prison, l’impact de la détention sur la santé mentale des détenus et les effets du choc carcéral. Au sein des quartiers arrivants de 3 établissements pénitentiaires, des personnes condamnées ont été interrogées tandis que leur état psychique lui a été examiné par Clément Beaunas, à l’initiative de l’enquête.
Une étude menée par la F2RSM auprès de détenus primaires ou récidivistes
Des femmes et des hommes, intégrés pour la première fois à un quartier arrivant ou récidivistes, issus de milieux différents, aisés, modestes, voire très précaires, ont participé à l’enquête dans le but de révéler l’impact du choc carcéral sur la santé mentale. Âgés de 20 à plus de 55 ans, certains n’avaient jamais été confrontés à la justice tandis que d’autres étaient là pour la quatrième fois.
Des personnes rencontrées dans différents établissements pénitentiaires
Pour révéler des données susceptibles de s’appliquer à tous les établissements pénitentiaires, Clément Beaunas a fréquenté trois structures distinctes :
- Le centre pénitentiaire de Melville ;
- La maison d’arrêt de Verne ;
- Et la maison d’arrêt de Sand.
Certaines accueillent des détenus violents, d’autres femmes ou des hommes. Comme toutes les prisons de France, ces dernières sont concernées par une densité de détenus supérieurs aux capacités d’accueil initiales.
Quelles sont les données étudiées au cours de cette enquête sur la santé mentale ?
Au cours de son enquête, l’investigateur s’est penché sur différentes données. En tenant compte de l’âge, de la situation financière et du fait que les détenus interrogés soient récidivistes ou non, Clément Beaunas a pu déceler les principales difficultés rencontrées au quartier arrivants. Ces dernières constituent ce que l’on appelle couramment le choc carcéral.
Les souffrances des personnes en attente de jugement
En prison, la majeure partie des détenus sont prévenus, donc en attente de jugement. Au même titre que les personnes condamnées, ces derniers évoluent au quartier arrivant lorsque la prison est prescrite par la justice. Sans date de sortie à laquelle se raccrocher, ces derniers doivent attendre parfois pendant plusieurs mois, voire années avant d’être jugés. Présumés innocents, ils se heurtent tout de même de plein fouet au choc carcéral lors de leur entrée au sein d’un établissement pénitentiaire.
Les addictions des détenus contraints de se sevrer lors de leur entrée en prison
Arriver au quartier des arrivants lorsqu’on est toxicomane ou alcoolique est une épreuve particulièrement difficile. Un sevrage forcé attend ceux qui sont déjà désorientés par la privation subite de leur liberté et ce dernier peut être particulièrement mal vécu. Pour que les détenus souffrent moins, des traitements de substitution peuvent être délivrés par les médecins qui exercent dans ce quartier réservé aux nouveaux arrivés.
Les conditions de détention difficiles liées à la précarité carcérale
La précarité carcérale accentue les souffrances de ceux qui viennent d’écoper d’une peine de prison. À peine arrivés en détention, certains détenus sont contraints de se priver de cigarettes par manque d’argent et sont également dans l’incapacité de téléphoner à leurs proches pour les informer de leur placement en détention. Tout au long d’une condamnation, le manque d’argent est ce qu’il y a de plus difficile à vivre en prison.
Quels sont les symptômes du choc carcéral pour les arrivants ?
Le choc carcéral, ou le moment où un détenu se retrouve soudainement confronté à la réalité de sa situation, est l’expérience la plus difficile pour ceux qui sont écroués, et son impact sur la santé mentale peut être énorme. Les détenus peuvent ressentir de la peur, de l’angoisse et un stress important.
Leur placement dans un quartier spécifique intervient justement pour limiter le traumatisme et permettre une entrée « en douceur » en détention.
Les détenus primaires encore plus démunis lorsqu’ils entrent en prison
Si les récidivistes souffrent aussi de leurs situations, ceux que l’on appelle les détenus « primaires » sont les plus démunis. Le choc est effectivement amplifié pour ceux qui n’ont jamais fait l’expérience de la prison et ils sont bien souvent désorientés lorsqu’ils arrivent dans cet univers carcéral contraignant.
Une privation de liberté brutale qui accentue le malaise
Car être tout à coup soumis à des horaires stricts, privé de liberté, contraint d’évoluer dans une minuscule cellule surpeuplée et d’attendre des paiements de la part de proches pour cantiner accentue forcément le malaise de l’entrée en prison. Lorsque la détention paraît loin à l’extérieur, elle est toujours plus difficile à vivre une fois que l’on se trouve en milieu carcéral.
Selon l’enquête, la prison a-t-elle un impact significatif sur la santé mentale des détenus ?
Si la prison, ou plutôt les conditions de détention dans lesquelles les détenus évoluent, la surpopulation carcérale et le manque d’accès aux soins peuvent avoir un impact sur la santé mentale des détenus, cela n’est pas toujours le cas. Dans les établissements pénitentiaires qui disposent d’une unité médicale réactive et accessible, les détenus qui souffrent de pathologies sont parfois davantage suivis qu’à l’extérieur. Dans de tels cas, la détention agit clairement en faveur de leur santé mentale.
Des améliorations notées par les détenus après 3 mois d’incarcération
Les détenus interrogés après avoir été accueillis au sein des différents quartiers arrivants des prisons citées plus haut font généralement état d’une amélioration de leur santé mentale après 3 mois d’incarcération. 3 mois seraient donc le délai qu’il faut aux détenus pour s’acclimater aux conditions de détention ?
Une adaptation progressive aux conditions carcérales pour les nouveaux arrivants
L’étude révèle en réalité qu’après la rupture brutale avec la liberté, les détenus accueillis pour la première fois ou en état de récidive en prison ne voient pas leur état psychique s’améliorer, mais s’habituent seulement à leur situation. Cela ne signifie pas que leur santé mentale ne souffre pas de leurs conditions de vie, mais simplement que l’humain peut s’acclimater aux pires expériences.
Au cours d’une incarcération, quels sont les moments les plus propices à l’apparition de troubles de la santé mentale ?
Selon l’étude, différents moments, au cours d’une incarcération, sont particulièrement propices à l’apparition ou à l’aggravation de troubles de la santé mentale chez les détenus.
L’arrivée en prison, une étape difficile pour les nouveaux arrivants comme pour les récidivistes
L’arrivée en prison est clairement identifiée comme un moment très stressant, marqué par le « choc carcéral » souvent évoqué par les détenus. L’isolement soudain et la rupture forcée avec la liberté et les repères extérieurs génèrent chez les personnes écrouées de nombreux traumatismes.
Le quotidien en détention et la proximité forcée, responsables de troubles chez certains détenus
La promiscuité, ou encore l’isolement lorsqu’un détenu est placé au mitard, peuvent favoriser l’apparition ou l’aggravation de troubles de la santé mentale. Tout au long de leur condamnation, les détenus sont également parfois en proie à des désillusions et à de faux espoirs (lorsqu’une demande de libération anticipée, d’UVF ou de permission de sortie est refusée par exemple) qui peuvent les mener à la dépression voire au développement de pensées suicidaires.
La libération, source d’anxiété et de précarité après la routine en prison
Enfin, la libération ou la fin d’un quotidien régi par les contraintes et par une certaine routine peut aussi être source de stress et d’anxiété chez les détenus arrivés en fin de peine. Le retour à la liberté, malgré qu’il ait été attendu pendant de longues années, entraîne parfois une recrudescence de troubles psychiques, susceptibles d’être encore plus intenses que ceux ressentis en prison.
Sources – santementale.fr – Consulter le rapport de la F2RSM Py